Affaire « AVELUMAB » : un revirement important dans la jurisprudence française relative aux certificats complémentaires de protection

Le 25 mai 2022, la Cour d’appel de Paris a annulé le refus de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) d’accorder un Certificat Complémentaire de Protection (« CCP ») pour l’avelumab. Il s’agit d’un revirement de la jurisprudence « nivolumab » sur l’interprétation de l’article 3(a) du règlement (CE) n° 469/2009 (ci-après le règlement CCP).

Dans cette affaire, le Dana-Farber Cancer Institute avait déposé une demande de CCP (FR17C1046) 17 novembre 2017, qui était fondée sur le brevet européen EP 1 210 424 (ci-après EP’424) déposé le 23 août 2000, et sur l’AMM de l’avelumab (EU/1/17/1214) accordée à Merck Europe B.V. le 20 septembre 2017.

L’avelumab constitue un anticorps monoclonal anti-PD-L1, principe actif du Bavencio (Pfizer), qui est indiqué dans le traitement du cancer, car il perturbe l’interaction PD-1/PD-L1 in vivo.

Il convient de noter que le brevet EP’424 ne concerne pas l’avelumab en tant que tel. En effet, l’avelumab est revendiqué dans un brevet ultérieur EP 2,785,375 (ci-après EP’375) déposé le 21 novembre 2012 par Merck Patent GmbH et constitue la base d’une autre demande de CCP (FR20C1068). EP’424 concerne principalement PD-L1, en tant que polypeptide isolé (revendication 12), ainsi que, de manière générale, « un anticorps qui se lie sélectivement à un polypeptide de la revendication 12 » (revendication 17) et « un anticorps qui se lie sélectivement à un polypeptide de la SEQ ID NO : 2 ou 4 [c’est-à-dire PD-L1] » (revendication 27).

Le 3 février 2021, l’INPI a rejeté l’octroi du CCP conformément à l’article 3(a) du règlement CCP. L’office a considéré, à la suite de l’arrêt Royalty Pharma de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire C-650/17, que l’avelumab, bien qu’implicitement et nécessairement couvert par la définition fonctionnelle utilisée dans les revendications 17 et 27 du brevet de base, n’était néanmoins pas spécifiquement identifiable dans le brevet, ayant été développé après la date de dépôt du brevet de base par une activité inventive indépendante.

La Cour d’appel a annulé cette décision en considérant que les méthodes de génération et d’identification d’un anticorps dirigé contre un antigène donné étaient des techniques de routine pour l’homme du métier à la date de priorité et que, par conséquent, lorsque l’antigène ciblé est déjà connu, la découverte d’un anticorps se liant à cet anticorps n’implique pas d’activité inventive. Les juges ont également relevé que dans le cas du brevet EP’375, déposé 11 ans après la date de dépôt du brevet EP’424 et accordé pour l’avelumab, l’activité inventive a finalement été reconnue par l’OEB en raison de la réactivité inter-espèces de l’avelumab, et non en raison de sa capacité à se lier à PD-L1, la division d’examen ayant initialement conclu à l’absence d’activité inventive. La Cour en conclut qu’il résulte de ces éléments, fondés sur les connaissances générales de l’homme du métier et l’état de la technique à la date de priorité du brevet EP’464, que l’anticorps monoclonal humain avelumab était spécifiquement identifiable par l’homme du métier à la lumière des enseignements dudit brevet, par des expériences de routine connues et bien maîtrisées, qui peuvent être longues et fastidieuses, mais n’impliquent pas une activité inventive indépendante.

Cet arrêt peut, à première vue, surprendre. En effet, dans une affaire récente très proche, la Cour a confirmé la décision de l’INPI par un arrêt du 19 janvier 2021. Dans cette affaire, il s’agissait de la confirmation d’une décision de l’INPI de rejeter une demande de CCP pour le nivolumab, un anticorps monoclonal anti-PD-1. Les juges ont considéré que si le nivolumab entrait implicitement et nécessairement dans le champ de l’invention couverte par le brevet de base, la préparation d’anticorps monoclonaux nécessitait plus que des opérations de routine. Ils ont également souligné qu’il a fallu trois ans après le dépôt du brevet de base pour déposer un brevet portant spécifiquement sur le nivolumab, ce qui constitue une indication forte qu’une activité inventive indépendante du brevet de base a été nécessaire pour aboutir au nivolumab.

Deux motifs principaux paraissent expliquer ce revirement de jurisprudence. Premièrement, la prise en compte des critères résultant de la Convention sur le brevet européen (CBE) et des directives et de la jurisprudence de l’Office européen des brevets (OEB), conformément au critère de l' »activité inventive indépendante » issu de la jurisprudence Royalty Pharma, qui a été déterminante. Deuxièmement, dans l’affaire nivolumab, la Cour d’appel a également considéré que le CCP n’était pas conforme à l’article 3(c) du règlement CCP, de sorte que l’appréciation de la conformité à l’article 3(a) est devenue une question secondaire.

En tout état de cause, ce revirement de jurisprudence est fondamental et devrait faciliter le respect des exigences de l’article 3(a) du Règlement CCP en matière d’anticorps monoclonaux en France, notamment dans le cadre des affaires Medeva (C-322/10) et Eli Lilly (C-493/12).

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