Saisie-contrefaçon : la protection du secret des affaires du saisi

1. La société Teoxane (« Teoxane ») est titulaire d’un brevet européen dont la société Laboratoires Vivacy (« Vivacy ») a demandé l’annulation par une assignation introduite le 9 octobre 2019 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris. Autorisée par des ordonnances sur requêtes du 7 janvier 2020, Teoxane a parallèlement fait procéder, le 8 janvier 2020, à des opérations de saisie-contrefaçon. Le 6 février 2020, Vivacy a assigné Teoxane devant le juge ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon, afin d’obtenir la rétractation des deux ordonnances ou subsidiairement, une fixation des modalités de divulgation des pièces saisies. La demanderesse soutenait, notamment, que l’ordonnance ne pouvait instaurer une procédure de placement sous scellés pour protéger le secret des affaires, dans la mesure seul le placement sous séquestre provisoire était prévue par les textes. Le Juge des requêtes puis la Cour d’appel ont rejeté cette demande, retenant que le Juge avait la faculté et non l’obligation d’ordonner un placement sous séquestre.

2. La Cour de cassation a accueilli favorablement la branche du moyen de cassation qui était tirée des articles R. 615-2 du Code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du Code de commerce. Selon la Haute juridiction, la Cour d’appel a violé ces textes en jugeant qu’afin d’assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le Président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne devait pas uniquement recourir, au besoin d’office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire.

3. Antérieurement à la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 sur le secret des affaires , le saisi pouvait demander la protection de ses secrets durant les opérations de saisie ou postérieurement à ces dernières. Il revenait, en tout cas, au saisissant de solliciter la levée des scellés s’il souhaitait que les pièces protégées soient versées au débat. Depuis la loi n° 2018-670 du 31 juillet 2018 et son décret d’application n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, les articles R. 615-2 du Code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du Code de commerce établissent une procédure de maintien des séquestres provisoires apposés au cours d’une saisie-contrefaçon. Ainsi, le dernier alinéa l’article R. 615-2, qui est relatif à la saisie-contrefaçon fondée sur un brevet, renvoie aux règles prévues par le Code de Commerce pour le maintien de séquestres en présence d’un secret des affaires en cas de saisie conservatoire (requête sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile). Or, l’article R. 153-1 alinéa 2 prévoit que « si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant ». En d’autres termes, seule une assignation en vue de demander la modification ou la rétraction de l’ordonnance, dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance, permet de s’opposer à la levée automatique des séquestres provisoires.

4. La portée pratique de cette solution est considérable. Notons tout d’abord qu’elle n’est pas propre à la saisie-contrefaçon et qu’elle est transposable au cas de la saisie-conservatoire de l’article 145 du Code de procédure civile, dans la mesure où la règle posée par l’article R. 153-1 du Code de commerce, auquel renvoie les articles du Code de la propriété intellectuelle, lui est destinée. En outre, le cadre de la protection du secret au cours d’une saisie semble dorénavant particulièrement strict, voire rigide. Cette solution implique en effet que le Commissaire de justice ne puisse protéger des secrets des affaires lors d’une saisie que s’il y est autorisé par l’ordonnance. A contrario, si celle-ci ne prévoit pas de mesure de protection, ledit Commissaire ne pourra pas apposer des scellés de lui-même, pas plus qu’il ne le pourra si l’ordonnance l’autorise à apposer des séquestres mais que le saisi n’en réclame pas l’apposition.

5. Cette raideur du cadre ainsi posé nous semble néanmoins relative. En premier lieu, rien n’oblige, certes, le Juge à prévoir un placement sous séquestre pour protéger le secret des affaires dans le cadre d’une saisie, mais dans ce cas c’est l’exécution de l’ordonnance, potentiellement attentatoire au secret, qui pourrait ainsi constituer une cause de nullité du procès-verbal dressé à l’issue de la saisie. Dès lors, il ne fait guère de doute la sécurité juridique et la prudence incitent fortement tout un chacun (requérants comme magistrats) à systématiquement inclure une mesure de séquestre au sein des ordonnances de saisie. En second lieu, la solution de l’arrêt commenté ne concerne que les secrets des affaires au sens de la loi de 2018, ce qui exclut les autres types de secrets, dont le secret de fabrique, le secret professionnel, et le secret protégé par un accord de confidentialité. Dans tous ces cas, le Commissaire de justice demeure libre d’apposer des scellés, même s’il conviendra alors de préciser quel type de secret le scellé viendra protéger.

6. Pour conclure, l’arrêt renforce la sécurité juridique en matière de saisie et doit, pour cet unique motif, fondamental, être approuvé. Nous retiendrons plus particulièrement que l’interprétation retenue pose un cadre précis à la procédure de référé secret des affaires. L’on ne pourra désormais plus nier qu’il n’existe qu’une seule possibilité pour protéger le secret des affaires au cours d’une saisie : demander l’apposition de séquestres, s’ils sont prévus par l’ordonnance, puis agir dans un délai d’un mois à la suite de ladite saisie pour maintenir ces séquestres.

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