27 juin 2025

Peut-on breveter une invention tout en la gardant secrète ?

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Peut-on breveter une invention tout en la gardant secrète ?

Lorsqu’un inventeur ou une entreprise met au point une innovation technique, une question cruciale se pose rapidement : faut-il breveter l’invention ou au contraire en préserver le secret ? Ces deux voies de protection, bien que complémentaires dans certains cas, reposent sur des logiques diamétralement opposées. Breveter, c’est divulguer. Garder le secret, c’est ne rien révéler. Alors, est-il possible de concilier brevet et confidentialité ? Et surtout, quels sont les risques à divulguer une invention trop tôt ?

Qu’est-ce qu’un brevet ? Un droit d’exclusivité en échange d’une divulgation

Le principe du brevet

Le brevet est un titre de propriété industrielle délivré par un office national (comme l’INPI en France) ou régional (l’OEB pour l’Europe), qui confère à son titulaire un monopole d’exploitation sur une invention pendant une durée maximale de 20 ans. Pour être brevetable, une invention doit répondre à trois critères fondamentaux :

  • Nouveauté : l’invention ne doit pas avoir été divulguée au public avant le dépôt ;
  • Activité inventive : elle ne doit pas être évidente pour un professionnel du domaine ;
  • Application industrielle : elle doit pouvoir être fabriquée ou utilisée dans l’industrie.

Un dépôt qui implique la divulgation

Pour obtenir un brevet, l’inventeur doit déposer un dossier comprenant une description complète de l’invention, des revendications (les éléments protégés), un abrégé, et éventuellement des dessins. Ce dossier sera publié, généralement 18 mois après le dépôt, ce qui rend l’invention accessible à tous. Cette transparence est la contrepartie du droit exclusif accordé par le brevet.

Ainsi, on ne peut pas breveter une invention tout en la gardant secrète. Le brevet exige une divulgation détaillée, qui sera rendue publique à terme.

Les dangers de divulguer trop tôt : un risque pour la brevetabilité

La règle de la nouveauté absolue

En droit européen, le critère de nouveauté est très strict. Toute divulgation, même par l’inventeur lui-même, avant le dépôt du brevet, fait obstacle à sa délivrance. Cela signifie que :

  • Une publication,
  • Une démonstration dans un salon,
  • Une discussion sans clause de confidentialité,
  • Un post sur les réseaux sociaux,

peuvent suffire à anéantir la nouveauté, et donc la possibilité de protéger l’invention par brevet.

Des exceptions rares

En principe, toute divulgation d’une invention avant le dépôt d’une demande de brevet empêche sa protection, car elle fait perdre le critère de nouveauté. Toutefois, deux exceptions prévues par la Convention sur le brevet européen (article 55 CBE) et le Code de la propriété intellectuelle français (article L.611-13 CPI) permettent de préserver la brevetabilité dans des cas exceptionnels.

La première vise les divulgations résultant d’un abus manifeste à l’encontre du déposant, comme la violation d’un accord de confidentialité, une fuite d’informations, ou encore un vol de données. Dans ce cas, l’inventeur peut encore déposer sa demande de brevet, à condition de le faire dans un délai de six mois à compter de la divulgation.

La seconde exception concerne les divulgations intervenues dans le cadre d’une exposition internationale reconnue, à condition de le déclarer lors du dépôt et de fournir un certificat délivré par les organisateurs. Là encore, un délai maximal de six mois s’applique.

Ces exceptions sont strictes et difficiles à invoquer, car elles supposent des preuves concrètes et un strict respect des délais. Elles ne doivent pas être vues comme une autorisation implicite de communiquer sur son invention avant le dépôt. En pratique, la règle reste simple : tant que le brevet n’est pas déposé, aucune divulgation ne doit avoir lieu sans cadre juridique sécurisé.

Les bonnes pratiques

Avant de parler de votre invention à un tiers (investisseur, partenaire, prestataire), pensez à faire signer un accord de confidentialité (NDA). Et surtout, déposez votre brevet avant toute communication publique. Une fois le dépôt réalisé, vous êtes libre de dévoiler l’invention : vos droits sont fixés à la date du dépôt.

Le secret : une alternative au brevet

Un choix stratégique

À l’opposé du brevet, la protection par le secret repose sur la non-divulgation de l’invention. Elle ne nécessite aucun dépôt, aucune formalité, et aucun coût. Elle peut durer indéfiniment, tant que le secret est gardé.
Le secret est particulièrement adapté aux :

  • Procédés de fabrication invisibles pour le client final (recettes, algorithmes, méthodes internes),
  • Inventions dont la durée d’exploitation est courte,
  • Situations où le brevet serait trop coûteux ou non rentable.

Les limites du secret

Mais cette forme de protection a aussi de sérieuses limites :

  • Elle ne confère aucun droit exclusif : si un concurrent découvre la même invention par ses propres recherches, vous n’aurez aucun recours ;
  • Elle est fragile : une fuite interne ou une négligence peut entraîner une perte définitive du secret ;
  • Elle n’offre aucune visibilité ni valorisation officielle de l’innovation.

En justice, il est difficile d’agir sans preuve solide de la violation du secret. C’est pourquoi le secret repose sur des mécanismes contractuels robustes (clauses de confidentialité, politiques internes, sécurité informatique).

Brevet d’abord, communication ensuite

En résumé, vous ne pouvez pas obtenir un brevet tout en gardant votre invention secrète. Le système de brevets repose sur un équilibre entre la divulgation publique et la protection juridique. Vouloir garder une invention secrète et la protéger en même temps par un brevet est donc incompatible.
Mais cela ne signifie pas qu’il faut toujours tout divulguer : tant que vous n’avez pas déposé, la discrétion est essentielle. Chaque situation mérite une analyse stratégique, en fonction de vos objectifs, de la nature de l’invention et de votre capacité à garantir la confidentialité.

Auteur : Dhenne Avocats.