31 juillet 2025

Carma Technology vs Uber : Le procès du ridesharing qui redéfinit l’innovation

Carma Technology vs Uber : Le procès du ridesharing qui redéfinit l’innovation

En juin 2025, l’industrie technologique assiste à l’un des procès les plus déterminants de la décennie. Carma Technology, une startup visionnaire fondée en 2007, affronte le géant Uber devant le tribunal fédéral de l’Est du Texas. Cette bataille juridique, qui couve depuis près de dix ans, pourrait redéfinir les fondements même de l’industrie du covoiturage et établir un précédent majeur en matière de protection des innovations des petites entreprises face aux géants technologiques.

Les origines d’une innovation révolutionnaire

L’histoire commence en 2007, lorsque Sean O’Sullivan, entrepreneur chevronné et fondateur de SOSV, conçoit une solution révolutionnaire pour résoudre les embouteillages urbains. Frustré par la congestion routière, il imagine un système automatisé capable de mettre en relation des conducteurs disposant d’espace dans leur véhicule avec des passagers ou des marchandises suivant des itinéraires similaires.

Cette vision donne naissance à Avego, rebaptisée plus tard Carma Technology. Dès 2008, l’entreprise lance une application pionnière sur l’App Store d’Apple, permettant aux conducteurs d’accepter des demandes de trajet via un iPhone 3G. Cette innovation, protégée par le brevet n° 7,840,427 déposé en 2007 et accordé en 2010, établit les bases technologiques du ridesharing moderne.

Le brevet de Carma décrit un système sophistiqué de mise en relation basé sur des points de prise en charge et de dépose, intégrant l’authentification sécurisée des utilisateurs et l’optimisation des trajets. Cette technologie anticipe l’essor du covoiturage tel que nous le connaissons aujourd’hui, bien avant l’émergence d’Uber en 2009.

Une confrontation juridique inévitable

Le conflit entre Carma et Uber trouve ses racines en 2015, lorsque l’Office américain des brevets (USPTO) rejette une demande de brevet d’Uber pour cause de similarité avec les brevets existants de Carma. Cette première alerte révèle qu’Uber était déjà conscient de l’existence des droits de propriété intellectuelle de Carma.

Entre 2016 et 2019, l’USPTO rejette plusieurs autres demandes de brevets d’Uber pour les mêmes raisons, certaines étant finalement abandonnées par le géant du covoiturage. En 2016, Carma contacte officiellement Uber pour discuter d’une possible licence de ses brevets. Uber, alors en pleine ascension avec une valorisation de 66 milliards de dollars, ignore ces demandes de négociation.

Cette attitude conduit Carma à déposer plainte en 2025, accusant Uber de violer cinq de ses brevets fondamentaux. La startup demande un procès devant jury, une injonction permanente contre Uber, des redevances futures obligatoires et des dommages-intérêts substantiels.

Les enjeux techniques et juridiques

Le litige repose sur une famille de 30 brevets interconnectés détenus par Carma, tous issus de la demande initiale de 2007. Ces brevets couvrent les aspects essentiels du ridesharing moderne : la mise en relation automatisée des conducteurs et des passagers, la gestion des itinéraires optimisés, l’authentification sécurisée des utilisateurs via des applications mobiles, et l’optimisation des trajets pour réduire la congestion.

Selon Larry Ashery, avocat spécialisé en propriété intellectuelle, la force juridique de Carma réside dans sa stratégie de dépôt de brevets, qui inclut de multiples revendications détaillées. Cette approche rend la défense d’Uber particulièrement complexe, car chaque revendication doit être contestée individuellement.

Uber détient certes des centaines de brevets, mais aucun ne couvre précisément le système de mise en relation au cœur du ridesharing. Les multiples rejets de ses demandes par l’USPTO renforcent l’argumentation de Carma. La défense d’Uber pourrait consister à distinguer son modèle, plus proche d’un service de taxi que du covoiturage traditionnel, mais cette distinction reste juridiquement fragile.

David contre Goliath : les défis d’une startup face à un géant

Cette affaire illustre parfaitement les défis auxquels font face les inventeurs indépendants dans l’écosystème technologique actuel. Carma a attendu neuf ans avant d’intenter cette action en justice, non par manque de fondement juridique, mais en raison des contraintes financières inhérentes aux startups.

Un procès contre un géant comme Uber peut coûter plus de 10 millions de dollars, une somme colossale pour une petite entreprise qui doit se concentrer sur la construction d’un modèle économique viable. Comme l’explique Sean O’Sullivan, « les brevets sont conçus pour protéger les innovateurs contre ceux qui volent leurs idées, mais ils ne sont pas la priorité lorsqu’on construit une entreprise ».

Pendant ces années d’attente, Carma a choisi de pivoter intelligemment. Après avoir abandonné son application de covoiturage en 2016, la startup s’est réinventée en appliquant sa technologie aux services de tarification routière, aidant les autorités de transport à gérer péages et voies rapides. Cette stratégie lui a permis d’atteindre la rentabilité tout en conservant ses droits de propriété intellectuelle.

Les implications pour l’industrie du ridesharing

Si Carma obtient gain de cause, les conséquences pour Uber pourraient être considérables. Au-delà des dommages-intérêts financiers, une injonction permanente pourrait forcer Uber à repenser fondamentalement son modèle technologique ou à négocier des licences coûteuses. Cette situation créerait un précédent majeur, encourageant d’autres inventeurs à défendre leurs droits face aux géants technologiques.

L’affaire soulève également des questions plus larges sur l’innovation dans l’économie numérique. Elle met en lumière les tensions entre la rapidité d’exécution des grandes entreprises technologiques et la protection des droits des véritables innovateurs. Le système actuel des brevets, conçu pour encourager l’innovation, montre ses limites lorsque de petites entreprises n’ont pas les moyens de faire valoir leurs droits.

L’évolution du paysage juridique technologique

Ce procès s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en question des pratiques des géants technologiques. Les autorités de régulation et les tribunaux scrutent de plus en plus attentivement les stratégies d’acquisition et d’expansion de ces entreprises, particulièrement lorsqu’elles impliquent l’appropriation de technologies développées par des tiers.

La stratégie d’Uber de déplacer le procès en Californie, où l’entreprise est basée, plutôt qu’au Texas, révèle l’importance du choix de juridiction dans ces affaires complexes. Le tribunal de l’Est du Texas est réputé pour être favorable aux détenteurs de brevets, ce qui pourrait influencer l’issue du conflit.

L’avenir de l’innovation protégée

Cette bataille judiciaire transcende le simple conflit commercial pour toucher aux fondements de l’écosystème d’innovation. Elle pose des questions essentielles sur l’équilibre entre la protection des inventeurs et la liberté d’entreprendre, entre les droits de propriété intellectuelle et l’accès aux technologies essentielles.

L’issue de ce procès pourrait influencer durablement les relations entre startups innovantes et géants technologiques. Une victoire de Carma enverrait un signal fort : même les plus petites entreprises peuvent défendre leurs innovations face aux plus puissants acteurs du marché, à condition de disposer de brevets solides et de la détermination nécessaire pour les faire respecter.

Cette affaire marque potentiellement un tournant dans l’histoire de la propriété intellectuelle technologique, rappelant que derrière chaque innovation révolutionnaire se cache souvent un inventeur indépendant dont les droits méritent d’être protégés et respectés.

Auteur : Dhenne Avocats.