Le 17 juin 2022, les membres de l’OMC ont adopté une dérogation permettant de suspendre des droits de brevet liés à la pandémie Covid-19. Les milieux intéressés s’alarment déjà à propos de cette mesure : mais en quoi consiste-t-elle réellement ? La « levée » des brevets révolution ou tempête dans un verre d’eau ?
Une procédure d’obtention accélérée de licences obligatoires
La dérogation adoptée diffère de la proposition initiale de l’Afrique du Sud et l’Inde d’octobre 2020. En effet, cette dernière envisageait une dérogation plus complète, se rapprochant davantage d’une expropriation, aux obligations des ADPIC en vue de la production et de l’accessibilité des traitements liés à la Covid-19. Or, la dérogation finalement adoptée se fonde sur la contre-proposition de l’Union européenne d’octobre 2021, centrée sur l’utilisation de la flexibilité existante des ADPIC en matière de licences obligatoires. Pour rappel, ces dernières limitent l’usage des droits de propriété intellectuelle, mais garantissent des redevances à leurs titulaires, ce qui n’est pas le cas avec une expropriation.
De fait, la dérogation permet à un membre de l’OMC d’exploiter un brevet, qui porte sur une technique lié à un vaccin Covid-19, sans le consentement du détenteur de droit via une licence obligatoire qui sera obtenue par une procédure accélérée : tout mécanisme juridique national, tel qu’un décret par exemple. En somme, il s’agit de faciliter l’obtention de licences obligatoires pour certains brevets, ce qui exige que les pays membres disposent déjà d’un tel mécanisme dans leurs droits nationaux.
Concernant la rémunération des titulaires de droits, il est fait référence à la nature humanitaire et sans but lucratif de la fourniture de vaccins, ce qui laisse une certaine souplesse pour déterminer le niveau des redevances à payer. Un renvoi est opéré vers directives de l’OMS/Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en matière de rémunération à cette fin.
Étendue de la mesure
Sont autant concernés les brevets qui portent sur produits que ceux portant sur des procédés. Cela étant, seuls les vaccins sont actuellement concernés. Les autres techniques en cause sont donc toujours exclues de cette décision, mais les membres se sont engagés au paragraphe 8 à décider dans les six prochains mois s’il convenait d’étendre son champ d’application pour inclure la production et la fourniture de produits thérapeutiques et diagnostiques.
La mesure semble cependant réservée aux pays en voie développement. Il est en effet précisé que si ces derniers sont éligibles, les pays ayant une capacité de production « existante » sont encouragés à prendre l’« engagement contraignant » de ne pas se prévaloir de la présente décision. Or, ce sont justement ces pays qui seraient les plus à même de mettre en œuvre la dérogation. En revanche, les États renoncent à l’application de l’article 31(f) des ADPIC, en vertu duquel la production dans le cadre de la décision doit être principalement destinée au marché intérieur, bien que la réexportation de produits soit découragée.
Quant à sa durée, le mécanisme pourra être appliqué pendant les 5 prochaines années. Durée qui sera réexaminée et pourra être revue annuellement par le Conseil général.
Finalement, même si cette réforme ne constitue pas une révolution, nous ne pouvons néanmoins négliger l’importante source de restrictions qu’elle pourrait constituer à l’avenir pour les titulaires de droits. Toutefois, en l’état, elle se rapproche davantage d’un signe de bonne volonté politique envers les pays en voie de développement, destiné à leur faciliter l’accès à la production de vaccins « Covid-19 », bien que la réussite de l’initiative reposera sans doute, in fine, plutôt sur la bonne volonté des titulaires de droits de transférer leur savoir-faire.