13 October 2025

Le brevet provisoire : un atout ou un risque ?

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Le brevet provisoire : un atout ou un risque ?

Pourquoi parle-t-on de “brevet provisoire” ?

En France, depuis le 1er juillet 2020, il est possible de déposer auprès de l’INPI une “demande provisoire de brevet” (DP). Elle permet de prendre rapidement une date officielle avec une simple description technique, sans revendications ni abrégé dans un premier temps, puis de décider dans les 12 mois de mettre le dossier “en conformité” (c’est-à-dire le transformer en demande classique) ou de le convertir en certificat d’utilité. À défaut d’action dans ce délai, la DP est réputée retirée et n’est pas publiée. Attention toutefois: aucun ajout d’informations techniques n’est permis lors de la mise en conformité.

Aux États‑Unis, la “provisional patent application” (PPA), instaurée par 35 U.S.C. §111(b), fonctionne de manière comparable: pas d’examen au fond, pas d’exigence de revendications, 12 mois pour déposer une demande non provisoire qui revendique le bénéfice de la date de la PPA (avec, dans certains cas, une restauration possible jusqu’à 14 mois via une pétition “unintentional delay”). La PPA ne s’applique pas aux dessins (designs) et autorise l’usage de la mention “Patent Pending”. Convertir la PPA en non-provisoire par pétition est possible mais raccourcit la durée du brevet; en revanche, déposer une non‑provisoire réclamant le bénéfice de la PPA ne réduit pas le terme, qui reste de 20 ans à compter du dépôt non‑provisoire (35 U.S.C. §154). 

Les véritables atouts du provisoire 

  • Prendre date vite et à moindre coût pour figer un état de l’art antérieur et afficher “demande de brevet déposée” (FR) ou “Patent Pending” (US) en discutant avec partenaires et investisseurs. En France, la DP peut être convertie en certificat d’utilité (titre de 10 ans) si la stratégie évolue. Surtout, l’effet de priorité de 12 mois prévu par la Convention de Paris permet d’étendre à l’étranger en conservant la date initiale.
  • Gagner un an pour affiner la stratégie (revendications, preuves de concept, liberté d’exploitation) avant de supporter le coût d’une recherche et de l’examen (FR) ou de la poursuite (US), tout en restant non publié si l’on renonce (FR).

Les angles morts (et cas réels) qui font mal 

  • Soutien insuffisant = priorité perdue. Si la description provisoire ne “porte” pas fidèlement ce que vous revendiquerez plus tard, vous risquez de perdre le bénéfice de la date provisoire. La jurisprudence américaine l’illustre crûment: dans New Railhead v. Vermeer, la priorité revendiquée à une PPA a été refusée car le détail revendiqué n’était pas décrit: des ventes antérieures (>1 an) ont alors détruit le brevet. Dans Dynamic Drinkware v. National Graphics, la Cour a rappelé que l’efficacité d’une PPA comme antériorité dépend d’un support écrit conforme à §112 pour les revendications du brevet ultérieur.
  • Europe plus stricte sur la “même invention”. À l’OEB, la priorité n’est reconnue que si le sujet revendiqué est dérivable “directement et sans ambiguïté” du document de priorité (G 2/98). Un provisoire sommaire peut donc vous faire perdre la priorité en Europe si vous avez élargi, précisé ou reformulé sans base suffisante; même si la pratique des “priorités partielles” (G 1/15) a assaini certaines situations, l’exigence de disclosure reste élevée.
  • Puissant… mais pas bouclier universel. La divulgation publique avant dépôt reste dangereuse pour l’international: les États‑Unis tolèrent une grâce de 12 mois pour les divulgations de l’inventeur, mais l’Europe ne reconnaît qu’un filet de sécurité de 6 mois dans des cas limités (abus évident, expositions officielles). Ne comptez pas sur le provisoire pour “rattraper” une présentation publique si vous visez des pays sans vraie période de grâce.
  • Le “piège de la première demande”. La DP/PPA lance la période de priorité de 12 mois (Convention de Paris). Refaire un nouveau provisoire un an plus tard pour “repartir à zéro” n’est possible qu’à des conditions strictes: la première demande doit avoir été retirée/abandonnée/refusée, non publiée et “sans droits subsistants”, avant le dépôt de la suivante. À défaut, la seconde ne pourra pas servir de “première demande” et vous risquez de perdre des droits à l’étranger. Les offices européens et britanniques insistent sur cette exigence de l’article 4 C(4).

Bonnes pratiques pour limiter le risque 

  • Rédigez la description provisoire “comme une vraie”: modes de réalisation, variantes, exemples, paramètres, alternatives, limites, figures utiles. Aux États‑Unis comme en Europe, la valeur du provisoire se joue sur la suffisance de description et l’appui des futures revendications. Évitez les lacunes que vous ne pourrez pas combler à la mise en conformité (INPI: aucun ajout d’info technique n’est permis) ou lors du dépôt non‑provisoire (US).
  • Ordonnez vos priorités et calendriers. Caler dès le départ l’échéance des 12 mois pour les extensions (Paris/PCT) et, si besoin, la “régénération” d’une priorité en respectant les conditions Paris 4 C(4). Formalisez les retraits “sans droits subsistants” avant tout nouveau dépôt servant de base.
  • Ne divulguez pas hors stratégie. Même avec une PPA/DP, évitez les divulgations publiques inutiles si l’Europe est visée; l’exception de 6 mois (abus/exposition) est étroite. 
  • Sur le plan US, préférez en général déposer une non‑provisoire revendiquant le bénéfice de la PPA (plutôt que convertir la PPA) pour préserver votre terme de 20 ans; n’oubliez pas la fenêtre de restauration de 14 mois en cas d’oubli, via pétition et taxe. 

À quoi sert vraiment le provisoire dans une stratégie internationale ?

Le dispositif est un excellent “outil d’option”: il fige une date, ouvre la priorité mondiale de 12 mois (Paris), permet de valoriser une innovation durant des discussions sensibles, et donne du temps pour choisir entre brevet, certificat d’utilité (FR) ou abandon propre. Mais sa puissance repose sur la qualité de la divulgation initiale et la discipline procédurale des 12 mois. Mal rédigé, le provisoire peut s’avérer pire qu’inutile: il crée une illusion de sécurité et fait perdre une priorité, comme l’ont vécu des titulaires dans la jurisprudence américaine; mal synchronisé, il peut faire dérailler une stratégie d’extensions en Europe faute de satisfaire à l’article 4 C(4).

Ce qu’il faut retenir pour décider

Le brevet provisoire est un atout lorsqu’il est traité comme un vrai dossier technique — complet et tourné vers les revendications à venir — et piloté avec un calendrier international rigoureux. Il devient un risque lorsqu’on le réduit à une “affichette” marketing ou à un simple ticket d’attente. Si votre horizon inclut l’Europe, redoublez d’exigence sur la description, limitez les divulgations avant dépôt et anticipez les règles de priorité et de “première demande”. Dans ce cadre, DP et PPA restent des leviers puissants pour gagner du temps sans perdre de droits.

Author : Dhenne Avocats.