29 September 2025

La nullité d’un brevet en France : motifs, procédures, enjeux

Category
La nullité d’un brevet en France : motifs, procédures, enjeux

La nullité d’un brevet constitue l’une des procédures les plus stratégiques du droit de la propriété industrielle française. L’annulation d’un brevet représente un enjeu stratégique majeur dans le cadre des litiges de propriété industrielle, permettant de lever les obstacles à l’exploitation d’une technologie protégée. Cette procédure permet de remettre en cause la validité d’un titre de propriété industrielle et d’en obtenir l’annulation totale ou partielle. 

Les fondements juridiques de la nullité

Les cas de nullité pouvant porter sur un brevet sont prévus par le code de la propriété intellectuelle à larticle L613-25. Ils sont de différentes natures, mais produisent tous les mêmes effets. Les nullités possibles d’un brevet français sont listées à l’article L613-25 CPI. La liste des nullités est exhaustive, ce qui signifie qu’aucun autre motif ne peut être invoqué devant les tribunaux. 

Les brevets sont présumés valides : néanmoins, ceux-ci peuvent être annulés si une preuve contraire est apportée par la personne invoquant cette nullité, conformément au principe « actori incumbit probatio ». 

Les motifs de nullité d’un brevet français

Les motifs de nullité sont strictement encadrés par la loi. Le brevet est déclaré nul par décision de justice : a) Si son objet n’est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 du Code de la propriété intellectuelle. 

Les principaux motifs comprennent : 

  • L’absence de brevetabilité : Le brevet porte sur une découverte, une méthode ou un objet expressément exclu de la brevetabilité par la loi (théories scientifiques, méthodes mathématiques, etc.). 
  • L’insuffisance de description : Le brevet n’expose pas l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter 
  • L’extension illicite : L’objet du brevet s’étend au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée 
  • La contrariété à l’ordre public : L’exploitation commerciale de l’invention serait contraire à la dignité humaine, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. 

Pour les brevets européens désignant la France, des motifs supplémentaires peuvent être invoqués, tels que l’absence de droit au titre ou des irrégularités spécifiques liées à la procédure de délivrance. 

Les procédures d’annulation

La compétence juridictionnelle exclusive

Seul le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent pour connaitre des actions en nullité (L615-17 CPI ensemble D211-6 CPI). Cette compétence exclusive a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2015. Depuis la réforme de 2019, seul le Tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître des actions en nullité de brevet, cette juridiction ayant succédé au Tribunal de Grande Instance. 

La Cour d’appel de Paris est compétente en appel, conformément aux règles générales de compétence territoriale. 

L’action principale en nullité

L’action en nullité introduite à titre principale cherche à obtenir la nullité d’un brevet alors qu’aucune autre action civile n’est en instance. Cette méthode consiste à introduire une action directe par une assignation devant le Tribunal judiciaire compétent. Le demandeur prend alors l’initiative d’attaquer la validité du brevet, indépendamment de toute accusation de contrefaçon. 

L’action reconventionnelle en nullité

Dans le cadre d’un procès en contrefaçon de brevet déjà en cours, le défendeur peut soulever la nullité du brevet comme moyen de défense. Cette action reconventionnelle est fréquemment utilisée comme stratégie défensive dans les litiges de propriété industrielle. 

Les conditions d’exercice de l’action

La nullité d’un brevet peut être demandée par toute personne ayant un intérêt direct et personnel à agir. Il est souvent admis que l’intérêt à agir doit être personnel et direct, légitime, né et actuel. 

L’intérêt direct et personnel à agir peut être justifié par le fait d’avoir une société dont l’activité commerciale est dans le même domaine d’activité que celui du breveté et/ou commercialisant des produits proche de l’invention brevetée. Il semble au minimum nécessaire de démontrer l’existence d’actes préparatoires ou de projets sérieux pour mettre en œuvre une technique similaire aux brevets contestés, selon un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 mars 2013. 

L’absence de prescription

Aux termes de l’article L. 615-8-1 du CPI, : « L’action en nullité d’un brevet n’est soumise à aucun délai de prescription ». Cette règle s’applique également lorsque la demande d’annulation du brevet constitue un moyen de défense au fond et est donc formée par voie d’exception, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 28 septembre 2022. 

La durée de la procédure

Une procédure d’annulation de brevet dure généralement entre 18 et 36 mois en première instance, selon la complexité de l’affaire et l’encombrement des tribunaux. 

Les effets de l’annulation

L’effet rétroactif et absolu

L’article L613-27 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la décision d’annulation d’un brevet d’invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition ». L’annulation d’un brevet a un effet absolu ou erga omnes. De plus, l’annulation a un effet rétroactif sur le brevet : les droits alors attachés au brevet sont réputés ne jamais avoir existé. 

Les conséquences pratiques

L’annulation a un effet rétroactif : le brevet est réputé n’avoir jamais existé · Les actions en contrefaçon basées sur ce brevet deviennent caduques · Les contrats de licence peuvent être impactés selon leurs clauses spécifiques. 

Cependant, la jurisprudence a nuancé ces effets. La jurisprudence est elle-même hésitante : alors qu’elle a pu rejeter la restitution de redevances versées pour une licence sur un brevet annulé par la suite dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 28 janvier 2003, elle a ensuite considéré qu’à l’inverse une procédure en indemnisation d’un préjudice fondée sur un brevet annulé ensuite se trouve privée de tout fondement juridique. Dans cet arrêt rendu par la chambre commerciale le 12 juin 2007, la Cour de cassation considérait alors que les effets de l’annulation devaient être rétroactifs. Finalement, dans un arrêt du 17 février 2012, la Cour de cassation a énoncé qu’il était impossible de prétendre à la restitution de sommes versées en exécution d’une condamnation en contrefaçon alors même que le brevet sur le fondement duquel la décision avait été rendue avait ensuite été annulé. 

La nullité partielle

Si les motifs de nullité n’affectent le brevet qu’en partie, la nullité est prononcée sous la forme d’une limitation correspondante des revendications. Dans le cadre d’une action en nullité du brevet, son titulaire est habilité à limiter le brevet en modifiant les revendications ; le brevet ainsi limité constitue l’objet de l’action en nullité engagée. 

Les enjeux économiques et stratégiques

L’impact sur l’innovation et la concurrence

Le brevet est un élément majeur des innovations que connait notre monde aujourd’hui. Alain Ripart définit le brevet comme un retour sur investissement pour les activités de recherche des entreprises. Tout ça pour dire que le Brevet est une arme économique efficace, autant pour le bien financier des entreprises, que dans le jeu de la concurrence. 

À l’heure où la guerre des brevets fait rage entre les grands groupes industriels, emportant avec eux des structures beaucoup plus modestes, il semblait important de régler cette question avant qu’elle ne se pose à une échelle trop importante. Les enjeux économiques de la protection des brevets peuvent tout à fait aujourd’hui se chiffrer en million et avoir de graves répercussions sur les différents équilibres économiques. 

Les risques et coûts associés

Une mauvaise gestion ou une méconnaissance des règles entraîne des litiges coûteux et des pertes de droits irréversibles. Une mauvaise gestion ou une méconnaissance des règles entraîne des litiges coûteux et des pertes de droits irréversibles. 

Les études de l’OCDE évoquent des pertes de plusieurs centaines de milliards d’euros chaque année, détournés par la contrefaçon. 

L’évolution du cadre législatif

La loi PACTE a étoffé l’arsenal législatif français : délai d’opposition allongé pour un brevet, procédure de nullité devant l’INPI. Cette réforme témoigne de la volonté du législateur d’adapter les procédures aux enjeux économiques contemporains. 

Les alternatives à l’action en nullité

Avant d’engager une action en nullité, plusieurs alternatives peuvent être envisagées. L’opposition permet de demander la révocation totale ou partielle d’un brevet français délivré. Simple et rapide, cette démarche doit être engagée auprès de l’INPI et aboutit, si l’opposition est bien fondée, à la révocation totale ou partielle du brevet ou bien à son maintien sous une forme modifiée. 

La procédure d’opposition présente l’avantage d’être moins coûteuse et plus rapide qu’une action judiciaire, tout en offrant des garanties procédurales équivalentes. 

Perspectives et défis actuels

La nullité des brevets s’inscrit dans un contexte économique où l’innovation constitue un facteur clé de compétitivité. En 2023, l’INPI a enregistré 12 562 demandes de brevet, dont 92,5 % provenaient de personnes morales, représentant 3 047 entités et 21 577 inventeurs. Cette activité intense de dépôt s’accompagne naturellement d’un contentieux en nullité qui reflète les tensions concurrentielles du marché. 

L’équilibre entre protection de l’innovation et libre concurrence demeure au cœur des préoccupations du législateur et des praticiens. La procédure de nullité, par sa rigueur et ses effets, constitue un mécanisme essentiel de régulation du système brevets, garantissant que seules les inventions réellement méritantes bénéficient d’une protection juridique. 

Author : Dhenne Avocats.