Dans un contexte économique dominé par la numérisation, le logiciel est devenu un actif stratégique majeur. Mais comment protéger efficacement ce logiciel ?
La protection juridique des logiciels a longtemps fait l’objet de débats, tant en doctrine qu’au sein des institutions nationales et internationales. En effet, cet objet technologique qu’est le logiciel, n’est pas aisément caractérisable et à soulever de nombreuses questions : Un logiciel est-il une œuvre de l’esprit ? Une invention brevetable ? Une création intellectuelle nouvelle justifiant la création d’un droit intellectuel sui generis ?
Dès les années 1970, certains auteurs ont suggéré la création d’un droit intellectuel sui generis, estimant que les logiciels n’étaient pleinement compatibles ni avec le droit des brevets, ni avec le droit d’auteur. Cette proposition a été relayée notamment par l’INPI dans les années 1980, avant d’être abandonnée.
Face à l’abandon de cette voie spécifique et à l’exclusion légale des programmes d’ordinateur du champ de la brevetabilité, le législateur a dû se tourner vers les instruments juridiques existants pour assurer une protection efficace des logiciels. C’est dans ce contexte que le droit d’auteur s’est imposé.
La protection du logiciel par le droit d’auteur
Le droit commun d’auteur n’était pas parfaitement compatible avec le logiciel. Il a donc fallu créer des règles spécifiques. La loi du 3 juillet 1985 sur les droits d’auteur, dite Loi Lang, a ajouté les logiciels à la liste des œuvres protégées, puis la loi du 10 mai 1994 portant mise en œuvre de la directive n°91-250 du 14 mai 1991, est venue modifier et préciser la protection juridique des programmes d’ordinateur (logiciels).
Une protection automatique dès la création
L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »
Le droit d’auteur repose sur un fait juridique : la création de l’œuvre. Il ne s’agit pas d’un droit formaliste, puisqu’aucun dépôt n’est requis. L’œuvre logicielle est réputée créée dès sa réalisation, même inachevée, et ce, indépendamment de toute divulgation au public.
Cependant, il est utile de préciser que le Code du patrimoine dispose :« Les logiciels et les bases de données sont soumis à l’obligation de dépôt légal dès lors qu’ils sont mis à disposition d’un public par la diffusion d’un support matériel, quelle que soit la nature de ce support. »
Cette obligation concerne les logiciels et les bases de données, au même titre que les livres, films, ou enregistrements sonores, et naît dès lors que l’œuvre est diffusée au public via un support physique. Le non-respect de cette obligation peut entraîner des sanctions, mais n’a pas de lien direct avec l’obtention du droit d’auteur (qui naît sans formalité dès la création de l’œuvre originale).
L’objet de la protection
Mais que couvre cette protection ? Qu’est-ce qui est protégé ?
Le terme « logiciel » qui est en réalité une terminologie française désigne un ensemble complexe incluant :
- Les programmes d’ordinateurs (code source et code objet, autrement dit le langage de programmation)
- Les travaux préparatoires (analyse fonctionnelle, organique, organigramme, algorithmes formalisés)
- La documentation d’utilisation
- Sont alors susceptibles de protection :
- Les programmes d’ordinateur (code source et code objet)
- Le matériel de conception préparatoire, s’il est de nature à permettre la réalisation ultérieure du logiciel.
- La documentation d’utilisation, aujourd’hui protégée comme œuvre littéraire autonome si elle est originale.
- La structure globale du logiciel, si elle témoigne d’un agencement original des programmes.
En revanche, sont exclues de la définition et donc de la protection, les idées, les fonctionnalités abstraites et les algorithmes en tant que tels.
L’originalité condition de protection
Traditionnellement, une œuvre est considérée comme originale si elle reflète la personnalité et la sensibilité de son auteur. Cependant, un logiciel ne cherche pas à émouvoir ou à raconter une histoire : il sert à faire fonctionner des machines, de manière logique et automatique.
Les juges français ont alors proposé une nouvelle approche, une nouvelle définition plus adaptée au monde des logiciels : l’apport intellectuel de l’auteur, c’est-à-dire un effort personnel qui dépasse la simple application de règles techniques ou automatiques. La vision de l’Union européenne, quant à elle, est plus souple : un logiciel est original s’il n’a pas été copié.
En mêlant les deux approches, on peut alors considérer d’un logiciel est original dès lors que l’auteur a fourni un vrai effort intellectuel en créant un logiciel nouveau qui ne se contente pas d’appliquer des règles toutes faites.
Le titulaire des droits
Quand un logiciel est créé, la question importante est : qui en est le propriétaire ? Autrement dit, qui a le droit de l’exploiter, de le vendre, ou de le faire évoluer ? Cela dépend du contexte dans lequel le logiciel a été développé.
En principe, l’auteur est le créateur humain du logiciel. Cependant, deux autres situations sont à prendre en considération :
- Lorsqu’un logiciel est créé par un salarié dans le cadre de son contrat de travail : les droits patrimoniaux, aussi appelés droits d’exploitation, sont automatiquement cédés à l’employeur (article L113-9 du Code de la propriété intellectuelle), sauf si le contrat prévoit le contraire.
- Lorsqu’un logiciel est créé par une entreprise prestataire ou une personne en freelance : par défaut, les droits sur le logiciel reviennent à l’entreprise prestataire qui a créé le logiciel, même si le client a payé pour la réalisation du logiciel. Il convient alors de prévoir une cession contractuelle expresse si celui qui a commandé le logiciel entend le modifier, le revendre, ou l’exploiter librement. En l’absence de cession, le commanditaire aura seulement le droit d’utiliser le logiciel.
La protection exceptionnelle du logiciel par le droit des brevets
En principe, en France comme en Europe, un logiciel « en tant que tel » (c’est-à-dire pris tout seul) ne peut pas être protégé par un brevet, car la loi considère que ce n’est pas une invention technique. Mais cette exclusion n’est pas absolue, et il existe des exceptions.
En effet, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt Schlumberger du 15 juin 1981 consacra la brevetabilité d’une invention dès lors que celle-ci portait sur un procédé technique dont certaines étapes étaient mises en œuvre par logiciel. Autrement dit, le logiciel sera protégé par le droit des brevets s’il est intégré dans une invention plus large.
L’Office européen des brevets (OEB) est quant à lui plus souple, reconnaissant qu’un logiciel peut être protégé s’il produit un effet technique supplémentaire, c’est-à-dire quelque chose de plus qu’un simple échange d’informations avec l’ordinateur. Par exemple : un logiciel de traitement d’image, de contrôle de robot ou de compression de données peut être breveté s’il dépasse une simple automatisation d’idées abstraites.