15 October 2025

Comment gérer la copropriété d’un brevet ?

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Comment gérer la copropriété d’un brevet ?

La copropriété d’un brevet représente une situation juridique complexe qui nécessite une approche structurée pour éviter les conflits entre les différents titulaires. Cette problématique touche de nombreux secteurs, notamment dans le cadre de collaborations de recherche ou d’innovations conjointes.

Le cadre juridique de la copropriété de brevet

La réglementation en cas de copropriété de brevet est détaillée par le Code de la Propriété Intellectuelle ou CPI, plus précisément aux articles L613-29 CPI à L613-32 CPI un régime légal de la copropriété des brevets, qui est dérogatoire du droit commun de l’indivision.

Si ce dépôt est effectué au nom de plusieurs personnes : il y a alors copropriété. Le législateur a mis en place en 1978 un dispositif légal dérogatoire au droit commun de l’indivision pour favoriser l’exploitation des brevets et protéger les intérêts des copropriétaires.

Ce régime présente une caractéristique fondamentale : Ce régime légal est un droit supplétif de la volonté des copropriétaires, qui ne s’applique que dans le cas où les parties n’ont pas réglé entre elles le régime de la copropriété.

Les droits et obligations des copropriétaires

L’exploitation de l’invention

Chacun des copropriétaires peut exploiter l’invention à son profit, sauf à indemniser équitablement les autres copropriétaires qui n’exploitent pas personnellement l’invention ou qui n’ont pas concédé de licences d’exploitation. Cette règle constitue le principe fondamental du régime légal.

Le principe étant que chaque copropriétaire qui décide d’exploiter le brevet devra reverser une indemnisation aux autres s’ils ne l’exploitent pas car chacun doit pouvoir percevoir les avantages de l’exploitation du brevet.

Le calcul de l’indemnisation équitable

L’indemnisation équitable représente l’un des aspects les plus délicats de la gestion de la copropriété. L’indemnisation équitable définie dans l’article L613-29 du CPI doit à la fois prendre en compte les perspectives du marché, la prise de risque, les charges et le chiffre d’affaires du copropriétaire exploitant ainsi que l’implication initiale de chaque copropriétaire que ce soit à niveau d’investissement, de création, etc.

A défaut d’accord amiable, cette indemnité est fixée par le tribunal judiciaire, ce qui souligne l’importance d’anticiper ces questions dans un accord contractuel.

Les licences d’exploitation

Le régime distingue deux types de licences :

  • Les licences non exclusives : Chacun des copropriétaires peut concéder à un tiers une licence d’exploitation non exclusive à son profit, sauf à indemniser équitablement les autres copropriétaires qui n’exploitent pas personnellement l’invention ou qui n’ont pas concédé de licence d’exploitation.
  • Les licences exclusives : Une licence d’exploitation exclusive ne peut être accordée qu’avec l’accord de tous les copropriétaires ou par autorisation de justice. Cette exigence d’unanimité protège les intérêts de tous les copropriétaires.

Les actions en contrefaçon

Chacun des copropriétaires peut agir en contrefaçon à son seul profit, mais Le copropriétaire qui agit en contrefaçon doit notifier l’assignation délivrée aux autres copropriétaires ; il est sursis à statuer sur l’action tant qu’il n’est pas justifié de cette notification.

La sortie de la copropriété

La cession de quote-part

Chaque copropriétaire peut, à tout moment, céder sa quote-part. Cependant, Les copropriétaires disposent d’un droit de préemption pendant un délai de trois mois à compter de la notification du projet de cession.

En cas de désaccord sur le prix, celui-ci est fixé par le tribunal judiciaire.

L’abandon de quote-part

Le copropriétaire d’une demande de brevet ou d’un brevet peut notifier aux autres copropriétaires qu’il abandonne à leur profit sa quote-part. Cette option permet une sortie simplifiée de la copropriété.

L’importance du règlement de copropriété

Les limites du régime légal

Si le régime légal de la copropriété des brevets a le mérite de sortir cette question du régime peu satisfaisant du droit commun de l’indivision, les mécanismes d’indemnisation des copropriétaires non exploitants et du contrôle sur les licences d’exploitation le rende peu adapté à la vie économique.

En outre, le régime légal est muet sur certains aspects fondamentaux de la copropriété : la répartition des quote-part de copropriété et la gestion des procédures de dépôt et d’extension des titres.

La liberté contractuelle

Les dispositions des articles L. 613-29 à L. 613-31 s’appliquent en l’absence de stipulations contraires. Les copropriétaires peuvent y déroger à tout moment par un règlement de copropriété.

Les copropriétaires doivent anticiper plusieurs aspects cruciaux :

  • La répartition des quotes-parts de copropriété
  • Les modalités de prise en charge des frais de propriété industrielle
  • La désignation du représentant de la copropriété
  • Les règles de décision (unanimité, majorité)
  • Les modalités d’extension ou d’abandon de brevets

L’éclairage de la jurisprudence

La jurisprudence du tribunal de grande instance de Paris

Le jugement du tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre, 2e section, en date du 13 mai 2016, 2011/11185, concerne l’affaire opposant Alain F., prothésiste dentaire, et Jean C., docteur en chirurgie dentaire et implantologiste, qui ont déposé en tant que co-inventeurs la demande de brevet français FR-2 916 626 sans qu’il ne soit établi de règlement de copropriété.

En l’absence de règlement de copropriété, c’est au juge de déterminer la répartition de la propriété du brevet. A cette fin, il a d’abord ordonné une procédure d’expertise, laquelle s’est conclue par une répartition des quotes-parts de Alain F. et Jean C. fixées par l’expert respectivement à 65% et 35%.

Cependant, le tribunal a jugé qu’il « convient de fixer la part contributive de chacun à hauteur de 50% », considérant que l’invention nécessitait les compétences des deux co-inventeurs.

La jurisprudence de la Cour d’appel de Paris

En 1998, un brevet est déposé en copropriété au nom d’une personne physique et d’un Institut Scientifique très renommé. Or, ce dernier signe une concession de licence exclusive au bénéfice d’une société tierce sans l’accord préalable du copropriétaire.

conclure une licence au profit exclusif d’un tiers impose que soit recueillie l’unanimité au sein de la copropriété. Cette décision illustre l’importance du respect des règles de copropriété.

Les bonnes pratiques de gestion

La gestion efficace d’une copropriété de brevet repose sur plusieurs éléments essentiels. D’abord, les copropriétaires définissent auparavant les critères d’indemnisation de l’exploitation du brevet par écrit afin de définir le rôle de chacun. Ils doivent donc rédiger un accord de copropriété.

La désignation d’un mandataire commun s’avère également cruciale. L’article R612-2 CPI impose aux copropriétaires de nommer un mandataire commun. Ce mandataire est le seul en lien avec l’office pour toute la durée de la procédure, il accomplit tous les actes nécessaires à la délivrance du brevet.

Enfin, l’établissement d’un règlement de copropriété est fortement conseillé au moment du dépôt de la demande de brevet car il s’agit d’une étape de la vie du brevet où les co-déposants sont vraisemblablement en phase.

Les enjeux pratiques et stratégiques

La copropriété de brevet soulève des défis particuliers dans la pratique des affaires. Souvent les copropriétaires s’entendent facilement sur la gestion et l’exploitation des brevets mais rencontrent des difficultés à trouver un terrain d’entente sur le calcul d’indemnisation pour qu’elle soit équitable surtout lorsque l’ensemble des copropriétaires n’exploitent pas le brevet.

Cette situation nécessite une approche proactive dès la création de la copropriété. Les copropriétaires doivent anticiper les modalités de valorisation, les stratégies d’exploitation et les mécanismes de résolution des conflits pour assurer une gestion harmonieuse et efficace de leur patrimoine intellectuel commun.

La maîtrise de ces aspects juridiques et pratiques constitue un enjeu majeur pour les entreprises et les inventeurs engagés dans des projets collaboratifs, permettant de transformer la copropriété de brevet d’une contrainte potentielle en un véritable levier de développement économique.

Author : Dhenne Avocats.