Entrée en vigueur de la Juridiction Unifiée du Brevet : mise en œuvre, enjeux et perspectives

Un communiqué de presse du Gouvernement du 20 janvier 2022 annonce la création d’un cadre harmonisé de la propriété intellectuelle avec l’entrée en vigueur de la Juridiction Unifiée du Brevet dite « JUB ».

Qu’est-ce que la « JUB » ?

Il s’agit de la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB), qui constitue une juridiction internationale créée par 25 des États pour connaître des affaires de contrefaçon et de validité des brevets unitaires ainsi que des brevets européens. Ses décisions seront applicables dans tous les États ayant ratifié l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (Accord sur la JUB).

Ce n’est donc pas une juridiction européenne à proprement parler, dès lors qu’elle n’est pas intégrée à l’Union Européenne.

La juridiction unifiée aura compétence pour connaître des affaires concernant les brevets dits « de l’Union européenne » (brevets européens pour lesquels l’effet unitaire est enregistré par l’Office européen des brevets) ainsi que les autres brevets européens enregistrés dans les pays où l’Accord est applicable. Ces affaires peuvent concerner les infractions, révocations, déclaration de non-infraction et établissement des dommages et intérêts. La procédure inclut une contre-demande pour la partie adverse. La compétence inclut des certificats de protection supplémentaires.

L’Office européen des brevets ainsi que les États seront également compétents dans certains cas : des actes concernant la validité ou la révocation (mais pas la contrefaçon) pourraient aussi être portés devant l’office européen des brevets si aucune procédure n’a été engagée dans un État membre où le brevet européen est valide. Les décisions de l’Office seraient alors valables dans les territoires où le brevet européen est valide, autrement dit dans trente-huit États. En outre, les États peuvent toujours octroyer des brevets indépendamment de l’Office européen des brevets. Ces derniers brevets ne tombent pas dans la juridiction de la juridiction unifiée.

La mise en place de la JUB : le protocole d’accord transitoire

Un protocole d’accord transitoire a été signé le 1er octobre 2015.

Ce protocole est entré automatiquement en vigueur dès vendredi 21 janvier, c’est-à-dire lorsque treize États l’ont signé. Désormais, dès l’entrée en vigueur dudit protocole, les préparatifs pour la mise en œuvre de la juridiction unifiée vont commencer. Il s’agit en particulier de la nomination des juges, de l’établissement du greffe, de la mise au point du système informatique ou de la finalisation du règlement de procédure de la JUB. Il conviendra également de fixer le barème des taxes et des coûts récupérables.

Quoi qu’il en soit, le protocole prévoit que certaines dispositions de l’accord sur la JUB n’entreront que provisoirement en vigueur. C’est par exemple le cas de l’article 7, lequel définit l’organisation de la phase de première instance de la juridiction avec ses divisions locales et régionales et sa division centrale à Paris (avec les sections de Munich et de Londres), mais aussi pour les articles 10 à 19, lesquels concernent le greffe, les différents comités administratif, budgétaire et consultatif ainsi que les juges et leur formation. Pareillement, l’article 35 sur le centre de médiation et l’article 41, qui disposent que le règlement de procédure ne sera définitivement adopté par le comité administratif qu’après avis de la Commission européenne. Enfin, il en va de même pour les dispositions relatives aux statuts de la juridiction, et notamment celles relatives aux élections des présidents de la 1re instance et de la Cour d’appel.

Conséquences de la mise en place de la JUB

Nous pouvons nous féliciter de la mise en place d’un tel système qui devrait faciliter l’harmonisation à l’échelle européenne et limiter le forum shopping.

En particulier, il permettra aux Juges français de travailler de concert avec leurs homologues européens et donc de mettre en avant toute la valeur des magistrats français spécialisés en contentieux de la propriété industrielle (et des juridictions d’où ils seront issus). En effet, les décisions françaises demeurent encore trop peu remarquées à l’échelle internationale, alors que nombre de contentieux brevets sont transnationaux. Ce qui est à déplorer eu égard à la qualité desdites décisions : une simple comparaison avec celles de leurs homologues européens suffit à s’en convaincre. De plus, nous pouvons escompter un mouvement d’harmonisation du droit européen des brevets.

Toutefois, quelques réserves et questions demeurent. C’est un système complexe, notamment du fait de la distinction entre brevets européens et brevets européens à effet unitaire. Cet effet unitaire aura en outre un coût, puisqu’il impliquera la mise en œuvre de nombreux frais importants pour défendre des brevets européens à effet unitaire devant la Cour : nous pouvons ici nous interroger plus particulièrement sur la capacité des PME et autres start-up à devenir des acteurs de ce système, mais aussi sur leur possible vulnérabilité face à de telles actions « européennes » d’acteurs internationaux non négligeables.

Cette complexité d’ensemble ainsi que le coût du contentieux devant la JUB — plus particulièrement pour les PME et pour les start-up — pourrait, paradoxalement, renforcer l’attractivité du système national de règlement des litiges au bénéfice d’un brevet français dont la valeur a été renforcée par la loi PACTE, créant ainsi une concurrence inattendue au système européen à venir. Il faudra alors, sans doute, comme le préconisent de nombreux praticiens, finaliser ce qui a été commencé avec la loi PACTE : la France devrait pouvoir être directement désignée ou élue lors des phases nationales des demandes internationales selon le PCT (« Patent Cooperation Treaty » qui permet des dépôts à l’échelle internationale).

Enfin, l’impact du Brexit sur le sort de la JUB constitue également une interrogation importante quid de l’impact de la sortie d’un tel acteur des contentieux européens hors de l’Accord ? Où sera répartie la section qui devait se situer outre-Manche ? En France ou en Allemagne (où se situent déjà respectivement le siège et une section) ou ailleurs ?

Il nous semble qu’une centralisation des divisions à l’échelle du siège, en France, serait la solution la plus pragmatique (en facilitant le traitement des litiges) et la plus logique dès lors que les organes les plus importants de l’Office européen des brevets se situent en Allemagne et que la France constitue le second marché européen.

Gageons donc que la Présidence française de l’Union donnera au Gouvernement français l’inspiration suffisante pour encourager une telle centralisation.

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